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Si la mémoire, a dit un humoriste, est la faculté d'oublier, qu'elle soit plutôt pour nous aujourd'hui
celle du souvenir. Qui dès lors se souvient encore de la belle mais trop passagère histoire de notre
Saint Désert de Marlagne ?
Symbole de calme, isolement et recueillement, le Désert d'implante au début du XVIIème siècle dans
la grande forêt de Marlagne couvrant la plus grande partie du plateau d'Entre Sambre et Meuse.
C'est là qu'un Carme déchaussé italien, le Père Thomas de Jésus, prospecte nos provinces, à la
recherche d'un emplacement propice à l'érection d'un couvent de son ordre. Remontant la Meuse en
barque, il s'arrête à hauteur du Fourneau, à Wépion, et s'engage à pied dans le vallon creusé par
le ruisseau appelé La Marlagne. +merveillé par la solitude des lieux, il décide de s'y implanter.
Les archiducs Albert et Isabelle, régnant à cette époque de régime espagnol, lui accordent 40
hectares de terrain au milieu desquels débute, en 1618, la construction du couvent conçu à la manière
de l'Ordre des Chartreux, constitué de cellules individuelles articulées autour de l'église centrale
et du cloître. Répartis à l'intérieur du mur d'enceinte construit en 1619, dix ermitages accueillent
des Carmes venant d'autres couvents, parfois lointains et étrangers, y passer quelques semaines de
retraite totale, isolés du monde extérieur.
Vivant en autarcie dans leur domaine, les Carmes exploitent habilement les ressources du lieu, la pierre
pour leurs constructions, les sources et les ruisseaux pour leur subsistance. Four à chaux, étangs, viviers,
moulin et ferme sont leurs occupations terrestres journalières. Mais ce qui bientôt justifiera l'appellation
Saint Désert de Marlagne, c'est la discrète sainteté de leur vie érémitique, loin du vacarme du monde.
Cette bienheureuse solitude est une première fois troublée par l'arrivée des troupes françaises emmenées
par Louis XIV en 1692 pour s'attaquer à la place forte de Namur. Le 7 juin 1692, Louis XIV en personne
vient s'installer dans les prés voisins du Saint désert, accompagné de sa cour qui trouve sa subsistance
chez les Carmes. On y rencontre le Dauphin, le Duc d'Orléans, le Père Lachaise ( confesseur du roi ),
Racine, Boileau et le Duc de Saint-Simon, ses historiographes.
De cette période subsiste un tableau représentant St Joseph (les Carmes de Marlagne avaient choisi de
placer leur Désert sous son patronage) et l'Enfant Jésus devant le Saint Désert. Du fait sans doute
du hasard de la dispersion des biens ecclésiastiques vendus après la Révolution française, ce tableau
se trouve actuellement dans le chœur de la petite église de Crans, dans le Jura français. Diverses
démarches n'ont malheureusement jamais permis de le ramener chez nous où sa place est pourtant tout
indiquée. Nous le regrettons d'autant plus que c'est, croyons-nous, la seule représentation d'époque
de ce qu'était notre Saint Désert.
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En 1789, les hordes révolutionnaires chassent les Carmes dont les bâtiments sont malheureusement laissés
à l'abandon et à la convoitise de toutes sortes de prédateur. Des ruines laissées par ces iconoclastes,
le Saint Désert ne se relèvera plus comme tel. Diverses affectations qu'il serait trop long d'énumérer
dans le cadre de ce modeste article achèvent de le démanteler. En 1819, Mgr Pisani de la Gaude, évêque de
Namur, obtient la jouissance du domaine et l'utilise comme lieu de détente pour lui et ses séminaristes.
Il fait construire la chapelle que nous connaissons encore. Consacrée à Ste Marie Madeleine, elle s'appuie
sur le mur d'enceinte du couvent, à gauche du porche d'entrée du Saint Désert. Deux pierres tombales
scellées dans le sol de la chapelle et le mur extérieur proviennent de sépultures d'officiers de Louis
XIV tombés lors du siège de Namur. De style néoclassique à une nef, elle contient, derrière l'ancien autel,
une peinture de Joseph Claes, de Champion, datée de 1950, et de chaque côté du chœur, deux médaillons en stuc
attribués aux frères Moretti (18e s.).
En 1865, la famille Drion acquiert le domaine de Marlagne et 500 hectares environnants. Elle y construit un
magnifique château qui, avec le temps, tombera lui aussi en ruine. De 1929 à 1936, des religieuses bénédictines
installées depuis 1920 au Mont-Vierge, actuellement Le Moutier, à Wépion, redonnent au Saint désert son sens
originel. La chapelle les accueille pour leurs offices. En 1936, la communauté émigre à Ermeton-sur-Biert où
elle se trouve toujours.
En 1938, l'immobilière Bernheim rachète l'ancien Désert de Marlagne, le château et 40 Ha de terrains qui sont
progressivement lotis. Le 27 octobre 1971 est posée la première pierre du Centre Culturel de la Communauté
française à l'emplacement de l'ancien château. Une page d'Histoire est tournée.
Le Saint Désert a retrouvé l'anonymat de son origine. Mais nous savons que ce ne sera pas un éternel oubli.
J-M. Nahon
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